sandrine mariette

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Suicide et Inversement , de Jeanne Rivoire

Si vous n’avez pas lu « Suicide et inversement », premier roman de Jeanne Rivoire,  mettez-le dans votre valise. Curieux, agaçant, incisive, il sera la bonne alternative aux légèretés estivales.

Magnifique

Le beurre et l’argent du beurre. Rarement un récit pose autant la question de “qui parle ?”. Fi des “je est un autre” et de “Madame Bovary c’est moi”, la question en suspens est : Est-ce qu’Agathe, narratrice du roman de Jeanne Rivoire est Jeanne ? Il ne s’agit pas de disserter sur l’insupportable auto-fiction devenue convention, ou pour entrer dans l’intimité d’un auteur, ses secrets et motifs psychologiques qui sont sa cuisine personnelle. Si Jeanne Rivoire est Agathe, si Agathe est Jeanne, la lecture s’en trouve métamorphosée.et ce roman prend une tournure bien particulière.

Agathe, fille de parents bourgeois et bohêmes, est programmée pour perpétuer cette sous-classe de la race des seigneurs, ceux qui sont tout de même obligés de travailler, ne porte plus de serres-tête et des blazers bleus démodés, mais mange bio, fréquente des artistes, une espèce issue d’un croisement et dont la suprématie est garantie. Agathe va accomplir les modes de reproduction de son espèce, école de commerce, fac de droit. Elle le fait comme un canard boîteux, trop lucide pour ne pas être dupe. Ce qui permet à Jeanne de décrire un monde de profs bidons, néanmoins dignes précepteurs de l’élite dans le règne de la médiocrité, sorte de coachs beaufs pétris de méthode Coué et de QCM qui régissent cet univers. Agathe va, à un moment, lâcher l’école et s’inscrire dans un cours du théâtre. Jeanne et Agathe, conscientes que ce milieu navigue entre pouvoir et refus du pouvoir, stigmatisent ces bourgois et ces snobs qui détestent les bourgois et les snobs. Jeanne, pour absoudre Agathe, cite Bourdieu, passage inutile et lourd qui heurte un récit par ailleurs bien mené. Or la domination s’inscrit bien ailleurs que dans la dialectique marxiste, creusant son chemin via l’apropriation symbolique et culturelle. Au fond cette espèce veut le beurre et l’argent du beurre. Il faut préserver ses privilèges mais aussi faire du théâtre, à l’instar de ces “fils et filles de” qui s’inscrivent au Cours Florent. “Nous passons notre temps à nous faire pardonner notre bonne fortune”. Le Hiatus est là. Il faut aussi le cul de la crémière : culpabiliser permet aussitôt de déculpabiliser et se muer en victime. car Agathe agace. Elle est bien évidemment anorexique, comme une pauvre petite fille de riche qui n’a que ça à faire pour s’excuser de ne pas assumer sa race et à qui on donnerait bien volontiers un coup de pied au derrière pour l’envoyer à l’usine. Elle travaille chez Mac Do quelques temps ? La belle affaire. Quand elle ne peut plus payer ses loyers, papa, Rmiste de luxe et maman qui déjeune avec Trintignant payent la note.

Narcisse Et pourtant, c’est sans doute dans la description de la maladie polymorphe d’Agathe que l’écriture de Jeanne Rivoire interpelle. Une écriture forte, incisive, juste, malgré quelques faiblesses et passages inutiles que l’editeur aurait pu parfaitement gommer. Une finesse psychologique et une tension dramatique permettent au roman une tenue assez remarquable. Le corps devient objet des contradictions d’Agathe. Sans jamais que le terme hystérie ne soit prononcé, Jeanne en donne une définition parfaite lorsqu’Agathe évoque le personnage emblématique de sa mère : “…Elle admire toujours les emportements pour peu qu’ils soient maîtrisés de bout en bout”. Une mère hystérique et toxique, un père dépressif et lâche, la race mutante et contradictoire des bobos, et voilà, Agathe qui ne sait plus négocier avec ce corps, et qui cumule les symptomes de l’hystérie et du narcissime. Anorexie, boulime, agoraphobie, claustrophobie. C’est pourtant dans un sursaut du corps que la guérison sera possible. Dans  son chef d’oeuvre “Mars”, Fritz Zorn décrit comment le cancer qui le ronge plonge ses racines dans son milieu, la grande bourgeoisie zurichoise. Agathe et Jeanne vont inverser le mouvement, vers un peu de lumière.

Valérie Labrousse

« Suicide et inversement », de Jeanne Rivoire (Editions Jacqueline Chambon).

Posted in Littérature générale by Sandrine Mariette on juillet 4th, 2010 at 11:21.

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