sandrine mariette

~ Factory

Patti Smith, poète avant tout

Née le 30 décembre 1946, à Chicago, Patti Smith, s’est imposée comme l’icône d’un rock-punk-transpoétique. PJ Harvey, Sonic Youth, The Pretenders, Courtney Love, U2, Siouxsie & the Banshees, REM… se réclament d’elle. Jennifer Lesieur s’est lancé un beau défi dans une bio « Patti Smith » (Le Castor Astral) et, quelques semaines plus tard, Patti Smith publie « Just Kids » (Harper Collins Publishers), où elle livre ses premiers moments à New York avec Robert Mapplethorpe.Qui est vraiment Patti Smith ?

Nice girl

L’enfance de Patti Smith demeure une parenthèse enchantée – même si les garçons ne regardent pas trop cette fille longiligne, la tignasse en désordre, le verbe déjà percutant et les idées fantaisistes, elle s’en moque, elle croit en elle. Les paroles de Jim Morrison, Bob Dylan, Jimi Hendrix… lui font l’écho d’une homélie ; « pour moi, ce fut la naissance du rock’n’roll ». Sa famille, aussi, est subjuguée par ses lectures hétéroclites et sa singularité. Tous sont très unis, et son frère Todd, complice au grand cœur, rejoindra le groupe lors des tournées. Ses parents se saignent pour lui offrir des cours d’art. Seulement rien ne se passe à Chicago. Même son ultime expérience dans une usine pour gratter quelques dollars se conclut en un échec cuisant, qu’elle relate dans « Piss Factory » (face B de son premier 45-tours, 1974, Mer records ; face 2 de « Land 1975-2002 », Arista), voix brûlante de hargne, tranchant avec les volutes jazzy de l’interprétation. Un souvenir inhumain pour tous les travailleurs – une minute pour pisser. Patti Smith embrasse la marginalité, sa voie est tracée. « Do you like the world around you ? Are you ready to be-have ? Out of the society, they’re waiting for me. Out of the society : that’s where i want to be. », ce refrain de « Rock’n’Roll Nigger », un des meilleurs titres de son troisième album « Easter » (Arista, 1978) synthétise une grande partie de sa démarche artistique « En dehors de la société, ils m’attendent. En dehors de la société, c’est là que je veux être. » Voilà le temps de battre des ailes et des mots. A 20 ans, elle part pour New York.

Poète avant tout.

Land

« Si je n’avais pas une idée si haute de moi-même, je penserais que je suis une frimeuse qui n’arrête pas de citer des noms célèbres à tout bout de champ », dixit Patti Smith. Tant mieux car, débarquée dans la Grosse Pomme culturelle, fourmillante de talents et de performances, avec trois dollars, elle va devoir se démener comme un beau diable. Tout d’abord, Patty Smith écrit – contrairement à ce que l’on croit. Elle se veut poétesse, fille adoptive de William Blake, Edgar Poe, Allen Ginsberg…, et celui qui deviendra son mentor : William Burroughs. Obsédée par la littérature, cette dernière va fabriquer son personnage, puis consolidera sa musique et ses improvisations. Mais, le temps n’est pas encore arrivé, l’underground new-yorkais ne se laisse pas approcher si facilement. Mais l’important est de se loger, Patti Smith trouve l’appartement à Greenich Village, lieu des écrivains de la beat génération, et l’amour, Robert Mapplethorpe, jeune photographe. Tous deux veulent percer, tous deux seront des stars dans leur domaine. « J’étais pleine de toute cette énergie, et je ne savais pas où la diriger. Robert m’a vraiment disciplinée en dirigeant toutes mes manies, toute muon énergie télépathique, en art. Emotionnellement, j’étais vraiment  barrée ! », reconnaît-elle. Patti Smith s’improvise un atelier d’écrivain, juste à côté de celui de Mapplethorpe. Ils font tout pour se faire remarquer, parfois jusqu’au ridicule, heureusement, ça ne tue pas. Le jour de grâce aura lieu au Max’s Kansas City, lieu préféré d’Andy Warhol et des habitués de sa Factory, en 1969, Patti Smith est à l’affiche de « Femme fatale », avec Penny Arcade et Jackie Curtis, l’auteur de la pièce. Toute la Factory attend. Et lorsque, c’est à Patti Smith de monter sur scène, ils voient une silhouette androgyne, une chemise blanche rentrée dans un pantalon noir, des yeux de biche qui lui mangent le visage d’une douce pâleur, sous une chevelure hirsute à la Keith Richards. L’improvisation tant attendue fait rage, Patti Smith s’est rodée, elle a compris Antonin Artaud, son « Théâtre et son double », qu’elle l’applique à la lettre, transformant sa peur en un principe d’intonations, un théâtre parlé, un théâtre chanté, une transe universelle, une danse cosmique des mots. Patti Smith est lancée, tout le monde ne parle que d’elle ; Robert Mapplethorpe fait son coming out, peu importe, ils restent les meilleurs amis du monde, et la nouvelle égérie underground vit une passion folle avec Sam Shepard. En 1971, elle entre dans la cour des grands avec une lecture, un parlé-chanté soutenu à la guitare par Lenny Kaye, dont les larsens, les plaintes, les désaccords créent « un rock à trois accords marié à la puissance du verbe » (PS). Tout la salle applaudit : Allen Ginsberg, William Burroughs, Sherman Alexie, John Cage, Yoko Ono, Gérard Malanga, assistant personnel d’Andy Warhol, l’âme de la Factory… L’effet est explosif, une enchaînement d’applaudissements. En 1972, son premier recueil, « Seventh Heaven », sort en librairie, Patti Smith fait alors partie du cercle des poètes new-yorkais. Il ne manque plus qu’un groupe.

Patti Smith monte son groupe

le look

Rimbaldienne, baudelairienne…

1974, Patti Smith poursuit ses performances ; sa forme d’expression, lu-chanté, avec la guitare de Lenny Kaye pour renforcer l’intensité de ses paroles et de son jeu scénique, elle harangue les spectateurs, se contorsionne comme l’iguane, Iggy Pop, sa transe la conduisent à former un groupe. Pourquoi ne pas faire du rock à la Rimbaud, à la Baudelaire, dont elle arbore toujours son célèbre chapeau noir ?  A la lead guitare ce sera Lenny Kaye, la basse Ivan Kral, au piano Richard Sohl et à la batterie Jay Dee Daugherty, tous entourent la muse. A l’emblématique CBCB’s, lieu culte de l’underground sonique, le groupe en résidence se frotte aux classiques « Hey Joe », de Jimi Hendrix, « Gloria », des Them (Van Morrison), « My Generation », des Who, avec une fureur contagieuse ; la voix percutante de Patti Smith vomit toute la poésie qu’elle a accumulée, son aura éblouit la salle. « On se cherchait, on fracassait tout, on s’excitait mutuellement. Il n’y avait pas de règles, pas d’attentes concrètes. » (PS) avril 75, la future rock star et son groupe signent avec Arista pour sept albums. Le 10 novembre paraît « Horses », la pochette est signée Robert Mapplethorpe, le stylisme minimaliste, chemise blanche, enfin presque, costume noir, cravate flanquée derrière l’épaule à la Sinatra, encore plus androgyne et plus rimbaldienne que jamais est l’estampille de Patti Smith. Deux titres phare, la reprise de « Gloria » et « Land », où elle reprend un passage des « Garçons sauvages », de William Burroughs ; la critique est unanime, un seul mot pour définir cet ovni : magique. En France, elle reçoit le Grand Prix de l’académie Charles Gros, dont John Coltrane fut honoré avant elle. Plus tard, Patti Smith et son groupe enregistrent « Radio Ethopia », plus expérimental, agressif, il dénonce le manque de liberté d’expression aux Etats-Unis ; la presse sera bien trop académique et le jugera sévèrement, quant au public, il oscille – surtout que c’est un deuxième opus, il se questionne : « Qui est vraiment Patti Smith ? C’est une question toujours sans réponse. Patti Smith déclarera dans  la revue « Stones » : « Je crois en la totale liberté de communication, et bous ne nous laisserons pas corrompre. “Radio Ethiopia” est une symphonie d’expérience… chaque morceau est une envolée… quatorze mouvements… quatorze arrêts. Il y a du silence sur ma radio. » Les tournées s’enchaînent, les titres sur scène se prolongent, la mettent en transe, elle s’automutile; son style bouillonnant d’énergie ne doit pas faillir pour transmettre sa vision du monde à 80 000 spectateurs. Premier résultat : elle ne pèse plus que 42 kilos à la fin de chaque tournée. Résultat plus tragique : 1977, en Floride, enflammée par le son poussée à bloc, tournoyant comme un derviche tourneur, Patti Smith chute de 5 mètres. Rééducation, repos qui lui donnent conscience de sa lassitude pour les immenses stades et sa nostalgie du CBCB’s. A lors, elle écrit « Babel », un recueil sur ceux qu’elle aime, de Pasolini à Richard Sohl. Infatigable, elle sort « Easter », un an plus tard. Bruce Springsteen lui a écrit « Because the Night ». L’album triomphe, et la star revendique de plus en plus son rapprochement avec Dieu. Et, pourtant, quelque chose n’est plus là. Depuis trois ans, Patti Smith est follement amoureuse et c’est réciproque de Fred Smith, un musicien du groupe MC5. Elle le rejoint à Detroit et plante le groupe. Elle sait qu’elle reviendra pour son dernier album.

L'explosion

The rest

1978, « Wave » paraît, la couverture, à nouveau, tirée d’un cliché de Robert Mapplethorpe, révèle une star diaphane – quelqu’un qui ne veut plus en imposer, mais disparaître. Le single « Frederick » dédié à l’homme qu’elle aime, émerveille le public. A qui elle annonce indirectement sa sortie dans titre, « So You want to be (A Rock’n’Roll Star) », elle conseille d’apprendre deux-trois accords, et laisse sa place “ « Elle ne voulait pas devenir la caricature d’elle-même… Elle avait résolu la question qu’elle avait soulevée, sa question artistique, et maintenant elle passait à son nouvel art », confie Lenny Kaye, ami et guitariste du groupe. Mais l’écrivain William Burroughs conclut mieux que tous « Patti a réussi à accomplir un truc assez malin. Elle a réussi à obtenir une mort rock’n’roll sans être obligée de mourir. »

Détroit, puis la saison en enfer

Fred Sonic Smith et Patti Smith

1980, Patti Smith se marie à Fred Smith, le 1er mars 1980, sans besoin de changer nom. Ils mènent une vie de famille très simple, s’occupent assidument de leurs deux enfants : Jackson et Jesse. Patti Smith reprend l’écriture et le dessin, tout en se perfectionnant à la clarinette, Fred, lui, prépare un album « Dream of life » pour sa chérie. Presque dix ans passent, le temps du bonheur va laisser sa place pour une saison en enfer.

Mars 1989, Robert Mapplethorpe s’éteint des suites du sida, juin 1990, Richard Sohl s’éteint d’une crise cardiaque, novembre 1994, Fred Smith, son mari, s’éteint des suites d’une maladie du cœur, décembre 1994, Todd Smith, son frère, s’éteint d’une crise cardiaque. Louez ou achetez le très beau film-DVD « Patti Smith Dream of life » (Medici arts), de Steven Sebring, et écoutez les paroles de Patti Smith sur ce moment tragique. Si le cœur vous en dit, récitez-les chaque jour pendant une semaine, et la vie, la vôtre, changera.

La renaissance

Patti Smith reprend le chemin des studios. Les albums, depuis « Dream of life » s’ouvrent davantage au monde. Comme elle le chante « people have the power ». Elle n’est plus repliée sur ses préoccupations d’artiste, mais sur ses devoirs de citoyenne du monde. La pauvreté, la guerre en Irak, la mort débile de Kurt Cobain… la touchent. En 1996, elle signe « Gone Again », et « Peace and Noise », puis « Gung Ho » (en import) en l’an 2000. Quatre ans plus tard, la chanteuse est de retour avec « Trampin’», un sacré réquisitoire de l’administration Bush. « Twelve », son dernier album, reprend douze titres, parmi lesquels « Smells like Teen Spirit », de Nirvana, qui est un morceau d’anthologie). Ses concerts, le Royal Festival de Londres en 2005, sont pleins à craquer, ses apparitions bougent toutes les générations, les expositions sur son œuvre multiforme se succèdent. Cet hiver, le MOMA de New York lui rend hommage à la manière de la Fondation Cartier, à Paris, en juin 2008.

Jennifer Lesieur, auteure de la bio « Patti Smith » (Le Castor Astral) a bien fouillé son sujet, décryptant les années de jeunesse qui sont primordiales chez cette artiste aux multiples facettes. Pour les fans, prenez le temps de lire  « Please Kill Me », de Legs McNeil et Gillian McCain (Editions Allia), « Nous sommes jeunes, nous sommes fiers », de Benoît Sabatier, de lire « Babel », « Présages d’innocence » (les 2 chez Christian Bourgois, de Patti Smith, et de visionner le superbe « Patti Smith Dream of life » (Medici arts), de Steven Sebring qui a mis onze ans à le tourner et dont vous pouvez voir la bande-annonce ci-dessus.

Pour les super fans, il y a quelques jours, « Just Kids » (Harper Collins Publishers), de Patti Smith, est sorti aux Etats-Unis. Elle y relate son amour et son amitié pour Robert Mapplethorpe, et les moments culturellement forts de cette époque (fin des années 60).

Et le double album « Land 1975-2002 » (Arista), avec des titres live, studio, et des démos.

Remerciements à : Jean-Paul Mourlon (traducteur du « Livre des violences », de William T. Vollmann, Tristram) d’avoir si bien rendu, dès 1996, la facture singulière de l’écriture de Patti Smith, « La Mer de Corail », « Babel » (Christian Bourgois).

Sandrine Mariette


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Posted in Culture et performance and Littérature générale by Sandrine Mariette on février 12th, 2010 at 18:41.

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