sandrine mariette

~ Factory

Interview de Yôko Ogawa

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La cinquantaine toute neuve, le visage confiant, la voix lumineuse… difficile d’imaginer, en rencontrant Yôko Ogawa, qu’elle est une des romancières les plus troublantes des lettres japonaises. Est-ce parce qu’elle « n’éprouve aucune répulsion à l’égard de ce qui est obscur » que l’étrange personnage de son nouvel opus, « Le Petit Joueur d’échecs », nous bouleverse tant ?

ELLE. Si votre personnage, Little Alekhine, n’était pas né les lèvres scellées, serait-il devenu un virtuose aux échecs ?

YOKO OGAWA. Lorsque Little Alekhine rencontre son maître d’échecs, il a 7 ans. Marqué par des cicatrices sur la bouche, moqué, battu par ses camardes de classe, il est seul, enfermé dans sa tête. Très vite, les échecs lui permettent de s’exprimer de plus en plus fort, de communiquer d’une façon profonde, de se heurter à autrui sans aucune parole.

ELLE. Le silence est-il plus fort que les mots ?

Y.O. Ceux qui ont une bouche, quand ils l’ouvrent, ils ne parlent que d’eux-mêmes. Aux échecs, il n’existe pas de mots plus convaincants, plus parlants que le déplacement des pions, c’est comme une symphonie, une poésie… Sans parler fort, les gens peuvent se parler, s’aimer, se battre. Ils communiquent cœur à cœur dans le silence. En écrivant, inconsciemment, je retrouvais ce thème, la force expressive du silence qui instille mon œuvre.

ELLE. Pour intensifier cet océan bouillonnant de silence, vous rendez Little Alekhine presque invisible ?

Y.O. [Rires.] En écrivant, son corps rapetissait tellement, que Little Alekhine s’est retrouvé sous la table et l’échiquier s’est déplacé dans sa tête. Mais j’aime cette idée obscure de petitesse que j’ai introduite dans « La Marche de Mina », et qui éclate dans « Le Tambour », de Gunther Grass. Son Oscar, comme mon Little Alekhine, arrivent au monde de manière très douloureuse, et ils décident de ne plus grandir tant est fort, le mépris pour l’hypocrisie, la médiocrité… qu’ils éprouvent dans la société des adultes.

Interview de Sandrine Mariette

« Le Petit Joueur d’échecs », de Yôko Ogawa, traduit du japonais par Martin Vergne (Actes Sud, 332 p.).

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