sandrine mariette

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Juli Zeh/La dictature de la santé

Juli Zeh

Dans la veine d’Orwell et d’Huxley, « Corpus Delicti », le nouveau roman de Juli Zeh, nous transporte dans une dictature hyper hygiéniste. Un des ouvrages les plus percutants de la rentrée.

2057. Terminés les eaux putrides, l’air vicié, les rhumes, les cancers, interdiction de boire du thé ou du café, encore moins de fumer (une cigarette peut valoir deux ans de prison), d’embrasser un ami (même une simple bise), obligation quotidienne de pratiquer un sport, de s’alimenter selon les lois en vigueur, et de se reproduire qu’entres partenaires autorisés pour éviter tout risque immunologique…, la santé règne au pays de la Méthode. Tout comportement déviant se traduit devant la Cour par un procès aux couleurs kafkaïennes. C’est le cas de Mia Holl, 30 ans, biologiste, bien intégrée dans le système, convoquée au tribunal pour avoir omis ses exercices journaliers. Son frère Moritz vient de se suicider après avoir été accusé injustement de viol et de crime. Mia fait simplement son deuil. Mais le Méthode, qui a déjà commis une injustice en déclarant Moritz coupable, lui interdit d’être affectée par sa mort et, surtout, de refuser tout soutien médical. Mia requiert le besoin de pleurer seule. Mais le bien-être est un devoir, peu importe les cœurs brisées, les âmes blessées, « le corps est notre église et notre temple, notre idole et notre martyr, telle est la sainte parole qui nous soumet ». A partir de ce sujet à l’apparence futuriste, Juli Zeh, avocate de formation, réussit, dans un style épuré, à tenir le lecteur en haleine, à le confronter à l’ambivalence de cette société, de cette jurisprudence dépourvue de toute humanité. L’enquête prend des tournures non dénuées d’humour noir dans ce procès-spectacle, un va-et-vient d’idées bataillées avec maîtrise qui manque dans la littérature actuelle. Mais le plus intrigant dans cette critique de l’ordre hygiéniste est qu’elle pourrait bien réfléchir le miroir de notre temps, de ce que nous vivons sans y songer. Un remarquable « Corpus Delicti » qui nous somme à ne pas emprisonner les délits du corps.

Sandrine Mariette

« Corpus Delicti », de Juli Zeh. Un procès », traduit de l’allemand par Brigitte Hébert et Jean-Claude Colbus (Actes Sud, 238 p.). Et aussi « Atteinte à la liberté. Les Dérives de l’obsession sécuritaire. », coécrit avec Ilya Troyanow (Actes Sud, 158 p.). Pour ce deuxième livre, une thématique sera faite sur Sandrine Mariette Factory.

Juli Zeh est l’auteure de « La Fille sans qualités », « L’Ultime Question », et des pièces de théâtre.

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