sandrine mariette

~ Factory

Bill Clegg/Portait d’un ex-addict

Bill Clegg

Voici le récit autobiographique d’une dépendance au crack et d’une passion suicidaire pour cette même substance, « Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme », de Bill Clegg, est un ouvrage sérieux et fascinant.

Début des années 2000, Bill Clegg, agent littéraire sérieux et apprécié, vit avec son ami à Manhattan. Il a pris sa première cuite à 12 ans, s’est poudré le nez à 15 ans, et pris sa première pipe de crack plus tard, avec un avocat reconnu, la soixantaine, marié, trois enfants. Et, puis, Bill Clegg, le narrateur, a poursuivi discrètement cette polytoxicomanie – crack-vodka-somnifères –, les autres acceptent en sourdine. Jusqu’au jour où il doit rejoindre son ami Noah à Berlin, juste embarquer dans un avion. Et là, le titre « Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme », référence existentiel au « Portait d’un artiste en tant que jeune homme », prend tout son sens, il va être question de cette conscience spectatrice de sa déréliction, de cette gestation de l’âme aussi vertigineuse que rapide. Bill Clegg ne rejoint pas Noah, il fume 70 000 dollars en deux mois et disparaît dans un sordide quotidien : appel du dealer (Happy), retraits bancaires, chambres d’hôtel, préparation de la pipe, sérénité précaire, descente gargantuesque de vodka, hits de parano bête et drôle, clochardisation hypnotisante, on frôle les territoires bukowskiens, « encore quelques secondes », cette ritournelle faussement anesthésiante qu’il répète en observant l’effondrement de son être, il a le même poids qu’à l’âge de 12 ans. L’enfance saigne aussi, lorsqu’il se regarde à la troisième personne du singulier, petit garçon, il ne pouvait uriner, sans se contorsionner de douleur et d’effroi face à un père fou de colère. Il fait peur à voir, mais pas à lire. Les paragraphes courts, le présent tendu comme une corde au cou, ce lyrisme à l’aboi d’un moment radieux, abreuve cette mémoire poétiquement décadente, ce style sérieusement sobre, cette lucidité paradoxale face aux ténèbres qui, eux, ne craquent pas.

Sandrine Mariette

« Portrait d’un fumeur de crack », de Bill Clegg, traduit de l’anglais par Laure Manceau (Jacqueline Chambon, 253 p.).

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