sandrine mariette

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Les « Insoumises » de Celia Levi

Hymne à la jeunesse

Dans ce premier roman, « Les Insoumises », Celia Levi livre, sous forme épistolaire, un conte de la vie ordinaire de deux jeunes femmes qui ressemblent à beaucoup d’autres. Dès son arrivée en Italie, Renée entame une correspondance avec Louise. Mordue par un idéalisme marxiste-bakouniste tenace, Louise ancre son quotidien dans des élucubrations drolatiques (« les logements devraient être gratuits tout comme les fruits de la nature »…), où l’attitude d’esprit l’emporte sur la réalité qui l’attend. Plus indolente, Renée s’épanouit dans les salles de cinéma et parfait son éducation sentimentale avec de beaux cinéphiles ; elle s’adapte à l’instant présent, la dolce vita. Louise se radicalise politiquement et moralise son amie : « Qu’en grandiras-tu ? »,  « Tes épreuves de contes de fées ne sont que le fruit de ta mégalomanie ». Renée n’est qu’une Gandhi du dimanche. Coups durs, coups bas, rimes de réconciliation, l’amitié ne se fendille pas comme ça. Puis le rythme bascule, s’inverse, l’auteure resserre les perspectives, zoome sur les vraies tensions de ces deux adolescentes secrètement liées, saisies par le même effroi, le passage à la vie active ; la « vraie » vie. Celia Levi, qui n’a que 26 ans, fait preuve d’une clairvoyance saisissante dans ce roman faussement utopique, faussement naïf, en dévoilant ses « Insoumises » qui paieront très cher leur jeunesse. Renée signera la dernière missive : « Tu as  vécu avec moi ma vie turbulente et frivole et j’ai tremblé avec toi sur les barricades. Nous aurons chacune vécu deux vies, deux fois plus. » Parce que l’amitié ne se soumet pas, elle court tous les risques.      

Sandrine Mariette

« Les Insoumises », de Celia Levi (Tristram).

Posté février 2nd, 2010.

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« Le Troisième Acte » de Glenn Patterson

Glenn Patterson signe avec « Le Troisième Acte », son septième roman, mais c’est le premier traduit en français, un épilogue crépusculaire de son « Lost in Translation ». Né à Belfast, Glenn Patterson, conteur des âmes perdues au Japon, suit le destin en chute libre d’un homme pris dans les filets de Hiroshima.

« Lost in Translation », traduit par la caméra de Sofia Coppola, révélait un Tokyo chic et toc de grands hôtels et bars karaokés. Cette fois, la vue de sa chambre dévoile au narrateur irlandais, représentant d’une entreprise d’emballage en PCV, une vue imprenable sur Hiroshima. Et une vision, celle d’un aigle, ombre néfaste. Le commercial en voyage d’affaires, censé vanter les mérites du U-bag, révolutionnaire successeur du film étirable, a achevé sa tournée. Le temps est suspendu avant l’avion du lendemain qui le ramènera à sa vie, sa femme, ses enfants. Plus rien à faire, sauf quelques emplettes. Sauf se coltiner un compatriote, écrivain, non moins éthylique que Bill Murray, venu participer à un colloque « Ecrire pour sortir du conflit. » L’étrange ébauche d’amitié agressive, sorte d’incongruité sociale, liant un romancier à un commercial ayant pour livre de chevet le Guide du commerce et de l’étiquetage, est un prétexte littéraire. « J’espère que vous trouverez ce que vous cherchez » augure l’écrivain. Hiroshima, ville de la Catastrophe, où les montres se sont arrêtées et l’espace-temps prend de curieux détours, les errances entre hôtel, centres commerciaux, restaurants, bars, autoroutes, université et montagnes mènent à la question essentielle « Qu’avais-je fait ? Pas fait, pas dit ». Au musée de la bombe atomique, devant « L’Holocauste », un tableau Hirayama, devant les reliques terrifiantes, devant le regard d’une inconnue, le destin se joue. Glenn Patterson dans son « Troisième Acte » pétrit la ville à ses ambitions, manie l’ironie avec habilité dans un texte à la puissance inégale mais qui va crescendo. Le lecteur y trouvera peut-être ce qu’il y cherche.

Valérie Labrousse

« Le Troisième Acte », de Glenn Patterson, traduit de l’anglais par Céline Schwaller (Actes Sud).

Posté février 1st, 2010.

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Nouvelles de J.G. Ballard

Depuis quelques années, plusieurs maisons d’édition poursuivaient la traduction de  l’œuvre titanesque de Ballard qui comportait de nombreux écrits de science-fiction, des romans inégalables d’anticipation sur la société et maintes nouvelles. Au moment où les éditions Tristram allaient publier le deuxième tome de ses « Nouvelles », J.G. Ballard est mort le 19 en avril 2009. Simultanément, en France, sortait « La Vie et, rien d’autres » (Denoël), une autobiographie où l’écrivain relatait les étapes de son existence avec philosophie et générosité. A tort, souvent plus connu par l’adaptation de ses œuvres, « Crash » (Cronenberg) et « Empire du soleil » (Spielberg) ; de nombreux auteurs Martin Amis qui lui consacra un essai, Will Self, Don DeLillo ou Houellebecq… revendiquaient son influence. Trois raisons de lire le plus grand écrivain britannique de son temps.

Sa justesse visionnaire. Dès 1970, Ballard abandonne la science-fiction – fini « La Forêt de cristal » –, pour anticiper le futur autrement, d’une plume détaillée, plus sophistiquée. Dans cette veine, « Sauvagerie » (1988) raconte le massacre de Pangbourne Village, une résidence sous haute surveillance pour gens aisés et explore les effets d’un monde sécuritaire. Avec la froideur et l’élégance de Gus Van Sant.

Son talent de nouvelliste. Ballard a trouvé la forme à son propos. D’un ton glacial, post-moderniste, couplé à une ironie british anti-dépressive, l’écrivain ausculte le tout-à-l’égout du monde dans un style court, ultra-soigné : « Il n’y a pas de roman parfait, mais il peut y avoir une nouvelle parfaite.»

Son répertoire culte. Dans les 695 pages de ses « Nouvelles complètes 1956 à 1962 », Ballard met en sourdine sa poésie urbaine à venir. Il sonde la face sombre des gens policés de nos mégalopoles, qui s’avèrent obsédés par la violence, les perversions sexuelles… Il en tirera sa remarquable « Trilogie de béton » (1970).

PS : ne ratez pas une affiche sur l’œuvre de J.G. Ballard, par Yann Legendre, dans l’excellente revue littéraire et philosophique « Incultes », le numéro 18.

Sandrine Mariette

« Nouvelles complètes, tome 1 et 2 », « Sauvagerie » (Tristram), « La Forêt de Cristal » et « La Vie et, rien d’autre », Denoël).

Posté janvier 30th, 2010.

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Daeninckx par Daeninckx

Illustration de Tardi.

L’année dernière, Didier Daeninckx livrait dans « La Mémoire longue », ses souvenirs, ses reportages, ses notes de lecture, vingt ans de sa vie (1986-2008). En 2010, il n’hésite pas pour le titre « Daeninckx par Daeninckx », moins rigide qu’une autobiographie, l’auteur livre une accumulation de toutes les dérives sociales, littéraires, mondiales que l’on vont nous faire avaler les yeux bandés. Deux livres incontournables pour approcher le vrai Daeninckx. Et se marrer des débilités à tous les étages.

« Chaque année à travers le monde, quarante mille œuvres d’art disparaissent des musées, des collections privées, des lieux de culte. » Pour imaginer un tel nombre de tableaux en cavale, retenez Monet is money et vous basculerez de l’impressionnisme au réalisme. Car l’auteur fait son miel de ces événements occultés, pour le plus grand plaisir du lecteur qui s’interroge sur ces escrocs de la culture publique, deuxième au hit-parade des gros trafiquants, après ceux de la drogue. Le truc à Daeninckx depuis « Meurtres pour mémoire » : remonter dans le temps pour y révéler plus qu’un crime, une honte collective. Et pour ses aficionados, « La Mémoire longue » offre une centaine de tragédies et de comédies contemporaines, dénichées tout en clairvoyance, avant d’être décapées par une plume caustique, qui ne s’effraie pas du burlesque de la situation. Choisissant toujours soigneusement ses sujets – certains deviendront le terreau de futur roman –, Daeninckx a recueilli, pendant vingt-deux ans, chroniques (« Les Renseignements généraux contre Coluche »), histoires vécues (« La Rencontre clandestine avec Jean-Patrick Manchette »), témoignages (« S21, l’école du crime des Khmers rouge »… et conclut : « Je suis là pour fictionner et frictionner l’histoire ». Sans crainte d’être lui-même caricaturé. Dans un dessin de Babouze, lors d’une signature, l‘écrivain Fajardie lui dit : « En 68, on lançait les pavés, Daeninckx lui sourit « … maintenant, on les écrit ! » « La Mémoire longue » en est un, mordant, contre l’oubli, son pire ennemi.

Sandrine Mariette

« La Mémoire longue », de Didier Daeninckx (Le Cherche Midi, 466 p.).« Daeninckx par Daeninckx », de Thierry Maricourt, Le Cherche Midi, 293 p.).

Posté janvier 30th, 2010.

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L’Homme de cinq heures

Quand sonnent 5 heures, il se passe quelque chose chez les artistes. Gilles Heuré nous promène, avec Paul Valéry, dans secrets de la création. Ce livre est une parenthèse enchantée, truffée d’anecdotes sur la littérature… Cinq heures, Paul Béhaine quitte son emploi à la Bibliothèque Nationale, lorsqu’un curieux personnage l’aborde et prétend être Paul Valéry. Revenant ou farfelu ? Il s’enfuit, en lui laissant un rendez-vous, le lendemain, à 5 heures du soir précises. Paul Béhaine se dit que la ressemblance ne fait aucun doute ; mèche et moustache, silhouette osseuse sont identiques à celles du poète, penseur et académicien, mort en 1945. Au fil des entrevues, Paul Valéry, dit Monsieur V tient à initier Paul Behaine à la confrérie des « cinq-heuristes ». Pourquoi toujours la même heure ? Parce que « tous les tableaux […] ont à voir avec les 5 heures. Qu’il s’agisse de leur exécution, de leur thème, de l’état d’esprit qui les a inspirés, des sentiments intimes, des sensations comprises ou ignorées… », l’heure d’or qui fourmille aux coins des pages de Stendhal, Maupassant, Marina Tsetaeva, Melville… Le lecteur se régale, surtout, lorsque que Monsieur V, aux obsessions courtoises et à la logorrhée drolatique tient à remettre la marquise à l’heure. Il n’a jamais tenu ce propos : « La marquise sortit à heures », comme le cite Breton dans son « Manifeste du surréalisme ». Pour Paul Valery, cette phrase symbolisait un mauvais début de roman, le mépris de l’art romanesque, mais pas une histoire d’horloge. C’est là où se joue toute la mécanique romanesque imaginée par Gilles Heuré, dont la plume châtiée et le style épuré, tranche : l’imaginaire est bien réel. Un moment précieux aux côtés d’artistes devenus familiers, une approche anglo-saxonne de l’amour des arts, affranchie mais érudite ; une fiction extravagante à laquelle peu aurait osé se risquer.

Sandrine mariette

« L’Homme de cinq heures », de Gilles Heuré (Viviane H amy, 279 p.).

Posté janvier 30th, 2010.

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La gloire de Daniel Kehlmann

Gloire

Si vous cherchez un livre à dévorer d’une seule traite, une fantaisie drôle et désenchantée, arpentez « Gloire ». L’auteur épluche un thème d’une grande modernité : la hantise, le désir, l’angoisse d’être célèbre. Les histoires se renvoient les unes aux autres, sans personnage principal, encore moins de célébrités ni de people, mais liées par un humour survolté, une malice surréaliste. Un technicien, récent propriétaire d’un téléphone portable, reçoit des appels coquins destinés à un acteur légendaire, que l’on retrouve plus loin dépossédé par son sosie ; un informaticien entreprend d’intégrer la vie d’un écrivain, espérant devenir un héros de roman… D’une tendresse décapante, « Rosalie », une nouvelle virtuelle nous collerait la larme à l’œil : Rosalie, l’héroïne d’un récit pervers, refuse le destin que lui alloue son auteur : se faire euthanasier en Suisse. Désopilant, « Gloire » enquête bien plus sur « la manière dont les gens nous regardent, nous jugent secrètement que sur la célébrité », avoue Kehlmann. Quant à la construction ironique et bouleversante, à la manière du film « Short Cuts », de Robert Altmann, elle nous rappelle que « nous sommes tous dans une histoire ». Oui, mais laquelle ?

Sandrine Mariette

« Gloire », de Daniel Kehlmann », traduit de l’allemand par Juliette Aubert, Actes Sud).

A noter sur ses tablettes : Il sera l’un des invités du salon du Livre de Paris du 26 au 31 mars 2010.


Posté janvier 29th, 2010.

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