sandrine mariette

~ Factory

Le 11-Septembre, vu autrement

Voici un essai à ne pas laisser filer, écrit en 2004-2005, « Diplopie. L’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11-septembre 2001 » a été publié en 2009 aux éditions Le Point du jour. Son auteur, Clément Chéroux, historien de la photographie et conservateur au Centre Georges-Pompidou, à Paris,  s’est posé la question simple : « Qu’avons-nous vu du 11-Septembre ? » L’attentat contre es jumelles fut sans doute l’événement le plus photographié de l’histoire. Et, pourtant, la presse n’a utilisé que très peu d’images. Pourquoi ?

La SMF vous prie de l’excuser, les photos ne peuvent être mises en ligne actuellement. Cela ne devrait tarder. Merci. Et enjoy, vous pourrez les retrouver sur Internet.

Six-images types réparties seulement en trente photographies différentes.

En 1961, Roland Barthes écrivait dans « Le Message photographique » (« Essais critiques III, Seuil) : « La photographie traumatique (incendies, naufrages, catastrophes, morts violentes, saisis sur le “vif” est celle dont il n’y a rien à dire : la photo-choc est par structure insignifiante : aucune valeur, aucun savoir […]. » Alors soumettons ces images fixes à l’examen de l’histoire. On retrouve six images-types, répétées, mises en boucle, comme un disque rayé, dans tout l’univers de la presse, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe, voire même dans le groupe Al-Hayat, alors que plusieurs milliers étaient déjà disponibles le 11 et 12 septembre 2001. Les retenues proviendront en majorité de l’agence AP.

Les voici :

1. 41 % des unes de journaux ont affiché les images de la boule de feu (fireball) engendrée par l’explosion des réservoirs d’hydrocarbure du vol 175 lorsqu’il percute la tour sud.

2. 17 % des unes ont opté pour le nuage de fumée qui s’élève dans le ciel de Manhattan lorsque les deux tours brûlantes s’effondrent.

3. Les journaux américains du 12 septembre ont favorisé les images de ruine. 14 % montrent la carcasse émergeant de Ground Zero, comme un squelette titubant, dressé vers le ciel.

4. Ensuite viennent l’approche des avions vers les tours, 13,5 % des unes, et lancées sous forme de replay à la télé.

5. 6 % des journaux américains choisiront des scènes de panique dans les rues du Lower Manhattan, les plus fréquentes exposent les gens tentant d’échapper à ce nuage meurtrier, ce « killer cloud » roulant entre les rues et dévastant tout sur son passage.

6. Enfin, une image, peu présente dans les premiers jours, mais qui deviendra un symbole iconographique : les trois pompiers hissant le drapeau américain dans les décombres encore fumants du World Trade Center, et qui rappelle, comme nous le verrons plus tard, la célèbre photo de Joe Rosenthal, prise le 23 février 1945, et montrant six marines hissant le drapeau américain à Iwo Jima.

Cela veut dire que 86 % soit les 5/6 de la représentation des attentats dans la presse américaine des 11 et 12 septembre, s’est faite à travers seulement six images-types, réparties en 30 photographies différentes.

Leur provenance, une uniformisation qui affecte l’image

Dans les heures qui ont suivi l’attentat, le bureau new-yorkais de l’agence AP diffusait déjà plusieurs centaines d’images à 1 500 quotidiens américains affiliés et à 15 000 abonnés répartis dans 112 pays. Il en appert évidemment la prégnance d’Associeted Press dans la couverture de cet événement historique : sur 400 unes américaines étudiées, 2999 proviennent d’AP, c’est-à-dire 72 % d’entre elles. Pourquoi ? A vous de lire le livre. D’où, une impression de déjà vu, de diplopie, le titre de l’ouvrage. D’origine grecque diploos (double) et opos (œil), en ophtalmologie, la diplopie est un trouble de la vision : la perception de deux images pour un seul objet. Et pour ceux qui portaient un regard attentif au lendemain du 11-septembre, il pouvait s’interroger sur une éventuelle diplopie, tant les images semblaient se dédoubler, se répéter, en six thèmes, l’explosion, le nuage, l’avion, la ruine, la panique et le drapeau.

Une expo s’y oppose

Sachant que des milliers étaient disponibles. La preuve, une exposition  « Here is now. A democraty of photographs », à laquelle des milliers d’amateurs, professionnels, ou tout simplement des particuliers sur place le jour de l’attentat, participèrent, quelques mois après l’événement, en envoyant leurs photos, leurs films… Le projet consistait à exposer et vendre des clichés au profit d’une association caricative. L’expo a été un succès, en 2002, 7000 images collectés, 750 000 visiteurs, 600 000 tirages vendus, un livre, puis un « tour du monde » de l’expo.

Plus idéologiquement, l’exposition  « Here is now. A democraty of photographs » souhaitait mettre en lumière que la photo est l’agent d’un principe démocratique et non « globalitaire », elle voulait contester la standardisation des contenus iconographiques similaires, voire identiques. Une sorte d’acte de résistance face aux icônes inlassablement répétées : explosion, nuage, ruine, pompiers, drapeaux, c’est-à-dire, le trauma, pourquoi une perception plus humaine avait été volontairement ou non, inconsciemment ou non, mise de côté. Alors que la presse ne cessait d’afficher la ville et les dommages infligés aux édifices, la place pour l’individu, sa détresse, ses souffrances, ses blessures n’existaient pas. L’humain devait retrouver son espace, son âme.

Pourquoi la répétition de ces images-types ?

Jacques Derrida commentant les attentats écrivit avec Jürgen Habermas, « Le “Concept” du 11-septembre, dialogues à New York (octobre-décembre 2001) », éditions Galilée, 2001) : « La répétition ajoute pour effet protecteur de neutraliser, d’amortir, d’éloigner un traumatisme, et cela est vrai pour la répétition des images télévisuelles. »

Ainsi donc, la première fonction aurait été, non pas d’informer, mais de réconforter, d’abréger ce choc traumatique, d’éviter la pénibilité visuelle de ces jumpers, ces hommes ou femmes qui se jetaient des tours, ces « virgules noires », selon un témoin, de ces bras, de ces jambes, de ces membres déchiquetés qui jonchaient le sol fumant, de ne pas sombrer dans « l’Apocalypsme now ».

Mais la répétition a aussi ses racines dans l’inconscient collectif, à, nouveau le choix des images-types n’est pas innocent.

L’avion, l’attaquant, les tours en feu, la boue le feu à leur sommet, l’attentat réussi, l’agonie, la souffrance d’individus, le nuage – presque toujours omniprésent –, tente de traduire la confusion dans laquelle se trouve l’Amérique avant la bataille, les ruines, l’effondrement, l’attente, le drapeau, le phoenix qui renaît de ses cendres, la guerre est en sous-titre.

Le contexte mémoriel de l’année 2001 aux Etats-Unis doit être attentivement repensé pour comprendre les choix iconographiques du 11-Septembre.

Tout d’abord, 2001 est l’année du soixantième anniversaire de l’attaque de Pearl Harbour, qui eût lieu le 7 décembre 1941. Cela fait des mois que les journaux en parlent, la sortie du film, du blockbuster « Pearl Harbour », de Michael Bay, une suite d’effets spéciaux, un festival d’explosions, de boules de feu, de kérosène enflammé et de nuages de fumée noire, en mai, fait un carton. Et tout à coup l’impact mémoriel de Pearl Harbourg ressurgit le 11-septembre. Il s’agit bien ici, de mémoire collective ou individuelle, c’est-à-dire subjectif, sans aucun lien avec l’objectivité de l’Histoire. D’ailleurs, le courrier d’un lecteur de 31 ans, parfaitement perspicace, en dit long : « Les gens de ma génération n’ont pas en tête d’authentiques souvenirs de Pearl Harbour, mais plutôt des histoires et des films ; lesquels sont directement liés à notre manière de penser ce qui s’est passé à New York. »

Même imagerie médiatique, mêmes explosions meurtrières, même nuage de fumée.

Ce que l’on dit en latence au lecteur : « Attention ! Vous êtes en train de vivre des événements de même ampleur historique. » Le « Sun » USA du 12 septembre 2001 prendra deux phots en une, une de New York, l’autre de Pearl Habor, touts deux diffusées par AP, et titrera « Never Forget », « N’oubliez jamais ».

Mais la ressemblance mémorielle dans l’imagerie médiatique la plus intense sera celle des pompiers hissant le drapeau américain sur Ground Zero, prise par Thomas Franklin. Du déjà-vu. Mais du déjà-vu belliciste. Un avatar de la photo de Joe Rosentahl, des Six marines, hissant le drapeau américain à Iwo Jima, le 23 février 1945. La victoire. La référence des images historiques a bien sûr voulu montrer la gravité de l’événement du 11-septembre. Les supermarchés Wal-Mart vendirent 116 000 drapeaux le 11-septembre, 250 000 le 12 septembre, et épuisant rapidement leurs stocks. D’ailleurs, seulement, 10 % des unes françaises exploitèrent l’image des rois pompiers de Ground Zero, que « rien n’ancre dans la mémoire hexagonale »

Conclusion

L’essai de  Clément Chéroux se lit d’une seule raite, grâce à sa clairvoyance, sa maîtrise du sujet, son travail de documentation fouillé et, surtout, sa réflexion pertinente sur l’enjeu de l’image photographique dans cette nouvelle ère, qu’il nomme l’ère des médias globalisés.  Ce qui veut dire « Dans leurs représentations médiatiques, les événements d’aujourd’hui ressemblent de plus en plus à ceux d’hier. Ce dont le 11-Septembre est le signe, c’est, en somme, d’une autre forme de globalisation qui agit non plus simplement horizontalement, sur toute la planète, mais aussi verticalement, à l’échelle de l’histoire.

A lire.

Sandrine Mariette

« L’Image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11-septembre 2001 », de Clément Chéroux (131 p. Le Point du jour).

Les photos qui accompagnent ce billet sont tirées du livre.

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Posted in Culture et performance and Littérature générale by Sandrine Mariette on septembre 13th, 2010 at 09:05.

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